Les enjeux des contrats publics dans le secteur pharmaceutique en 2025
L’ascension rapide de Pharmaprom dans les contrats publics attribués en 2025, dans un contexte où le PJD évoque une proximité familiale avec un membre du gouvernement, a servi de détonateur. Le ministère de la Santé défend la légalité des procédures et justifie le recours à l’Autorisation Temporaire d’Utilisation (ATU) par une pénurie induite par la mise à niveau industrielle du fabricant détenteur de l’Autorisation de mise sur le marché (AMM). L’opposition, elle, met en cause un usage disproportionné des ATU, un taux élevé d’appels d’offres infructueux et des cahiers des charges considérés comme dissuasifs.
La lecture juridique: une nécessité dans ce contexte
Dans ce climat de suspicion, la lecture juridique devient importante quand on sait que les législatives sont en ligne de mire et qu’un faux pas peut être fatal. L’entretien accordé à notre média par Me Reda Deryany, avocat à la Cour et spécialiste du droit des marchés publics, apporte un éclairage sur les failles structurelles du dispositif. À plusieurs reprises, le juriste insiste sur un point central: la confusion persistante entre l’autorisation de mise à disposition d’un médicament et l’acte d’achat public, deux procédures distinctes qui répondent à des logiques et à des régimes juridiques différents.
La distinction entre AMM et ATU: un élément clé
Pour Me Reda Deryany, l’une des clés du problème réside dans l’articulation, parfois mal comprise, entre l’AMM et l’ATU. Il rappelle que la première constitue la procédure normale, applicable lorsque le produit et son fabricant satisfont aux conditions standards. L’ATU, en revanche, n’est prévue que pour les situations où un médicament destiné à traiter des maladies graves ou rares ne dispose d’aucune alternative thérapeutique au Maroc.
Le juriste précise que la demande d’autorisation se dépose auprès de l’Agence marocaine des médicaments et des produits de santé, qui remplace l’ancienne Direction du médicament et de la pharmacie. Cette étape, lourde et strictement encadrée, n’a rien à voir avec l’acquisition des lots par le ministère. «Lorsqu’il s’agit pour l’État d’acheter un médicament, il doit respecter le décret n° 2-22-431 relatif aux marchés publics», rappelle-t-il. Autrement dit: autoriser un produit n’est pas l’acheter, et acheter un produit n’autorise pas à contourner la concurrence.
Les zones grises de la commande publique
L’autre pan du problème, que Me Reda Deryany analyse en détail, concerne les mécanismes de prévention des conflits d’intérêt et leurs limites. Le décret impose aux candidats une déclaration sur l’honneur attestant qu’ils ne sont pas en situation de conflit, et impose aux fonctionnaires intervenant dans la procédure une obligation stricte d’indépendance. Mais le juriste souligne que ces garde-fous sont largement théoriques.
Il pointe d’abord le caractère peu opérant de la déclaration sur l’honneur, document qui repose sur l’auto-déclaration et dont la vérification demeure aléatoire. Ensuite, il met en avant les risques liés aux relations informelles, difficilement détectables, entre certains fournisseurs et des agents de l’administration. «Ces mécanismes, bien qu’existants, ne suffisent pas à prévenir des situations complexes où le marché concerne des produits vitaux et stratégiques», estime-t-il.
Plus inquiétant encore, selon lui, sont les failles structurelles du système de passation. Il rappelle que les médicaments peuvent faire l’objet de contrats-cadres renouvelables sur trois ans, ce qui réduit la fréquence des appels d’offres, limite la publicité et fragilise la concurrence. S’y ajoute la possibilité, prévue par le décret, de recourir aux bons de commande jusqu’à 500.000 dirhams lorsque la concurrence est jugée impossible. «Ces prestations ne font pas l’objet d’un appel d’offres, ce qui crée des zones grises», avertit-il. Dans un secteur marqué par l’asymétrie d’information et la rareté des fournisseurs, ces exceptions deviennent, en pratique, des outils d’achat non compétitifs.
L’analyse de Me Reda Deryany devient particulièrement pertinente lorsqu’il évoque la hausse des appels d’offres infructueux, dénoncée par plusieurs députés. Selon lui, cet échec n’est pas anodin: il ouvre automatiquement la voie à un marché négocié sans publicité ni mise en concurrence. Dans le cas des médicaments protégés par brevet, cette procédure permet à l’établissement public de choisir librement son fournisseur. La loi l’autorise, mais son usage répété peut conduire à un contournement systémique de la concurrence.
Il note que le diagnostic d’un éventuel dysfonctionnement doit reposer sur des indicateurs précis: analyse des lots déclarés infructueux, comparaison des prix proposés, nombre de concurrents évincés, fréquence des ATU, taux de concentration du marché. L’absence d’un tel suivi, ou son insuffisance, laisse la porte ouverte aux dérives.
Au terme de son analyse, Me Reda Deryany rappelle que le cœur du problème n’est pas technique, mais institutionnel: clarifier le périmètre de l’ATU, renforcer les contrôles sur les procédures d’achat et établir des mécanismes robustes de prévention des conflits d’intérêt.














































