Une eau venue de l’océan pour faire pousser les tomates marocaines
Le long des rangées de serres qui recouvrent Chtouka, les tomates s’alignent avec précision. Bien rangées, parfaitement calibrées, elles sont prêtes à partir vers les marchés européens. Ce que peu de consommateurs savent, c’est que ces fruits, emblèmes de la production agricole marocaine, ont poussé grâce à une eau venue de l’océan.
Depuis novembre 2022, l’eau utilisée pour irriguer une partie des cultures de tomates du Souss-Massa provient directement de l’Atlantique. Elle est dessalée dans la station de Chtouka Aït Baha, l’une des plus ambitieuses du continent. Sur les 275.000 m³ d’eau produits chaque jour, 125.000 m³ sont dédiés à l’agriculture. Cette ressource irrigue aujourd’hui jusqu’à 15.000 hectares, dont une importante part consacrée à la tomate.
La tomate occupe une place centrale dans l’économie agricole. Elle représente l’une des principales cultures d’exportation du pays. À elle seule, la filière fait vivre directement 120.000 personnes, auxquelles s’ajoutent des centaines de milliers d’emplois indirects dans la logistique, le conditionnement ou encore le transport. Dans la région du Souss-Massa, et plus précisément dans la plaine de Chtouka, elle est un pilier de l’activité, nous explique un membre de l’Association marocaine des producteurs et exportateurs de fruits et légumes (APEFEL).
Mais cette réussite s’est construite dans un équilibre fragile. L’irrigation reposait jusqu’à récemment sur l’exploitation intensive des nappes phréatiques, dont les niveaux ont fortement baissé. La multiplication des sécheresses et la surexploitation des ressources ont mis en péril la pérennité de la production. Pour préserver la filière sans compromettre l’environnement, le recours à une nouvelle source d’eau s’est imposé.
Station de dessalement d’eau de mer à Chtouka, un mégaprojet qui répond aux besoins en eau de 1,5 million de citoyens. (M. Oubarka).
La tomate cerise fait partie de ces cultures dites « à très haute valeur ajoutée« . Destinée à l’export, elle bénéficie de prix de vente élevés et réguliers. Grâce à ses rendements et à son intensité de production, elle peut rentabiliser l’utilisation de l’eau dessalée. Ce sont donc principalement les exploitations spécialisées dans cette culture qui ont choisi de se raccorder au réseau. À ce jour, environ 1.500 exploitations agricoles utilisent cette ressource dans la région, fait-on savoir.
Pour les producteurs, le dessalement change la donne. Il apporte une régularité qui manquait jusqu’alors. Plus besoin de forer plus profondément chaque année, ni de réduire les surfaces cultivées en période de pénurie. L’eau est là, tous les jours, avec un débit constant. Cela permet non seulement d’assurer la continuité des récoltes, mais aussi d’investir à moyen et long terme, explique notre interlocuteur.
L’impact économique est significatif. Chaque année, la station permet de préserver 1 million de journées de travail, de protéger 3 milliards de dirhams d’investissements agricoles et de maintenir une valeur ajoutée de près de 9 milliards de dirhams. Tout cela, en grande partie, grâce à une culture aussi simple en apparence que la tomate, mais essentielle pour l’équilibre social et économique du territoire.
Ali, agriculteur, cultive des tomates sur une dizaine d’hectares. Il a fait le choix de passer à l’eau dessalée dès l’ouverture du service. « L’eau coûte plus cher, oui. Mais je sais que je peux irriguer sans interruption. C’est ce qui compte. Avant, on ne savait jamais combien de semaines la nappe allait encore tenir. Aujourd’hui, je planifie mes cultures à l’année« , déclare-t-il. Pour lui, ce coût plus élevé est compensé par la qualité de l’eau: « Pas de salinité, un bon équilibre. On a de bons rendements.«
Rachid, exploitant dans la même zone, s’est tourné vers la même alternative. « Avec le dessalement, on a une ressource stable. Ce n’est pas donné, mais c’est fiable. Avant, c’était la météo qui décidait, maintenant, c’est le planning. Le coût est élevé, oui. Mais quand on fait les comptes, entre les pertes évitées, la qualité du produit et la possibilité de livrer à temps, ça se tient », commente-t-il.
Dans la plaine de Chtouka, l’or rouge du Maroc s’arrose désormais au prix fort. Mais pour les producteurs misant sur la qualité, la régularité et l’export, cette nouvelle équation hydrique commence déjà à porter ses fruits, comme le signale notre interlocuteur de l’APEFEL.