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Recrutement 2.0 : comment l’Intelligence Artificielle transforme les métiers des Ressources Humaines au Maroc

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L’Intelligence Artificielle dans les Ressources Humaines : Une Révolution Discrète au Maroc

Le monde du travail marocain vit une transformation silencieuse mais profonde. Après avoir bouleversé la finance, le commerce et la communication, l’Intelligence artificielle (IA) s’attaque désormais à un bastion longtemps dominé par l’intuition et l’humain: les ressources humaines. Processus de recrutement, tri de CV, entretiens, évaluation des compétences… tout ou presque peut désormais être partiellement automatisé.

Au Maroc, cette mutation prend forme à travers des initiatives locales comme Jobzyn, une plateforme de recrutement qui mise sur l’IA pour rendre les processus à la fois plus transparents, plus efficaces et plus justes. Son fondateur, Simmohamed Zizi, rencontré à Casablanca, résume en une phrase l’ambition du projet: «La plateforme est née d’un besoin de créer de la transparence dans le recrutement.»

Jobzyn s’adresse à un double enjeu: celui des entreprises, souvent noyées sous des centaines de candidatures et celui des candidats, perdus dans un marché opaque où les retours se font rares. Entre ces deux mondes, l’IA joue le rôle d’intermédiaire, capable de rapprocher les bons profils des bons postes, à grande vitesse.

Des CV au contexte

Le recrutement, tel qu’il est pratiqué depuis des décennies, repose sur un système souvent inefficace: les recruteurs épluchent des centaines de CV, repèrent quelques mots-clés, multiplient les entretiens de présélection, puis enchaînent les allers-retours avec les managers. Un processus qui, selon Simmohamed Zizi, peut «durer plusieurs mois pour finalement déboucher sur des erreurs d’embauche coûteuses».

Avec Jobzyn, l’IA change la donne. Les algorithmes analysent désormais les profils de manière contextuelle, en interprétant les parcours, les expériences et les compétences avec une finesse que les simples mots-clés ne permettaient pas. «Sur une offre d’emploi, on peut recevoir 1.000 candidatures. Sur ces 1.000, 100 sont vraiment pertinentes. Aujourd’hui, notre technologie permet de les identifier en quelques heures, là où un recruteur humain mettrait plusieurs jours», explique-t-il.

Mais la véritable innovation réside dans la préqualification par entretien automatisé. La plateforme a développé un agent conversationnel intelligent capable de mener un entretien complet avec chaque candidat. Celui-ci interroge sur les expériences passées, teste les compétences techniques, évalue la motivation et génère, à la fin, une fiche de score détaillée. Le tout sans intervention humaine directe.

L’objectif n’est pas de remplacer le recruteur, mais de l’assister. «Nous voulons faire passer les recrutements de plusieurs mois à quelques jours», affirme le fondateur. «Et pour cela, l’IA est notre meilleur levier d’efficience.»

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Le recours à l’IA ne se limite pas à la rapidité: il vise aussi à restaurer la confiance dans un processus souvent perçu comme opaque. Au Maroc, selon notre source, de nombreux candidats expriment leur désarroi face à des offres sans retour, des processus sans explication et des recrutements biaisés.

«Beaucoup se sentent perdus. Ils envoient des dizaines de CV et n’obtiennent jamais de réponse. Certains pensent qu’ils ne sont pas choisis à cause de biais», constate le fondateur. «L’IA permet de dépasser ces perceptions en valorisant uniquement la compétence.»

L’humain reste au cœur du processus

Pour autant, cette automatisation ne signe pas la disparition du facteur humain. Au contraire, elle le revalorise. Le fondateur de Jobzyn insiste: «L’IA ne doit pas être vue comme un substitut, mais comme un copilote. Elle permet aux RH de se concentrer sur ce qui compte: la relation, la projection culturelle et la compréhension du potentiel.»

Cette distinction est essentielle. Si les tâches répétitives (tri de CV, planification, premiers entretiens) peuvent être confiées à la machine, la décision finale et la relation humaine restent le domaine de l’humain. «L’IA ne saura jamais capter la compatibilité culturelle entre un candidat et une équipe, ni le ressenti d’une interaction», rappelle Zizi.

Le rôle des ressources humaines évolue donc: moins administratif, plus stratégique. Libérés des tâches à faible valeur ajoutée, les professionnels RH peuvent enfin se concentrer sur leur mission première: accompagner la croissance de l’entreprise et les trajectoires individuelles.

Des biais toujours présents, mais mieux contrôlés

L’un des principaux reproches adressés à l’IA dans le recrutement concerne les biais algorithmiques. Certaines expériences passées, notamment dans de grands groupes américains, ont montré que des algorithmes mal conçus pouvaient reproduire, voire amplifier, les discriminations existantes.

Le fondateur de Jobzyn reconnaît le risque, mais s’en démarque: «Nous avons tiré les leçons de ces erreurs. Notre approche est purement compétentielle: seules les compétences comptent. Nous ne cherchons pas à reproduire le profil de ceux qui sont déjà dans l’entreprise, mais à identifier ceux qui correspondent au poste.»

Pour lui, l’IA bien calibrée génère moins de biais que l’humain. Et sur le plan légal, le Maroc dispose déjà d’un cadre clair: la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP) encadre strictement l’usage des données, via la loi 09-08. Toute plateforme utilisant des systèmes d’IA doit y être déclarée et réaliser une analyse d’impact lorsque des données sensibles sont manipulées.

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L’expert en IA confirme: «L’équité ne se décrète pas, elle se gouverne. Chaque acteur doit instaurer des garde-fous internes pour s’assurer d’une IA éthique et transparente.»

Au-delà du recrutement privé, Jobzyn s’attaque à un autre défi structurel: le chômage des jeunes diplômés. L’entreprise déploie aujourd’hui des career centers digitaux au sein des écoles et universités marocaines. Ces espaces numériques permettent de centraliser les besoins des entreprises partenaires et d’y connecter directement les étudiants via l’IA.

Le marché marocain des RH assistées par IA n’en est encore qu’à ses débuts, mais les signaux sont positifs. Les entreprises commencent à comprendre que la donnée, la conformité réglementaire et la compétence linguistique (arabe, darija, français) sont les trois piliers d’une adoption réussie.

«On va vers une industrialisation progressive, par vagues», estime Harmach. «D’abord sur les tâches à retour sur investissement immédiat, comme le sourcing, le tri ou la planification. Puis, peu à peu, sur l’ensemble du cycle de recrutement.»

Cette transformation s’accompagne aussi d’un mouvement culturel. Le recrutement ne se résume plus à un acte administratif: il devient une expérience partagée, où le candidat, le recruteur et la technologie collaborent pour un résultat plus juste et plus rapide.

Alliance entre intelligence artificielle et intelligence humaine

Si l’IA continue de gagner du terrain, sa légitimité repose sur un équilibre subtil. Les acteurs du secteur s’accordent: l’IA ne doit pas piloter, mais co-piloter. L’expert en IA résume: «L’IA doit préqualifier, informer et planifier, mais c’est à l’humain de décider.»

Au fond, la promesse de cette révolution n’est pas de rendre le recrutement impersonnel, mais au contraire de le réhumaniser en libérant les RH des tâches mécaniques pour leur redonner le temps d’écouter, d’évaluer, de comprendre.

Le Maroc s’inscrit ainsi dans un mouvement global où la technologie, loin d’effacer la dimension humaine du travail, lui rend sa place centrale. Une révolution discrète, mais décisive, qui pourrait bien réconcilier efficacité, équité et humanité dans le monde du recrutement.