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Chèques sans provision : vers une évolution de la perception de la criminalité

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Le Projet de Loi sur les Chèques Impayés : Une Réforme Majeure du Code de Commerce au Maroc

Adopté le jeudi 9 octobre 2025 par le Conseil de gouvernement, le projet de loi modifiant le Code de commerce marque une rupture dans la gestion des chèques impayés. «Le texte introduit un dispositif plus souple, privilégiant la régularisation à la sanction pénale», indique le quotidien L’Economiste dans son édition du lundi 13 octobre.

Jusqu’ici, l’émission d’un chèque sans provision entraînait systématiquement une procédure judiciaire, assortie d’une amende équivalente à 25% du montant du chèque, et pouvant déboucher sur une peine d’emprisonnement. «Désormais, le débiteur pourra éteindre les poursuites en réglant la somme due, accompagnée d’une amende forfaitaire réduite à 2%. Une évolution saluée comme un tournant dans la modernisation du droit commercial marocain», écrit L’Economiste.

Selon Bank Al-Maghrib, près de 30 millions de chèques ont été émis en 2024, pour un montant total de 1.319 milliards de dirhams. Mais le système reste miné par les incidents: 972.232 chèques ont été rejetés pour absence ou insuffisance de provision, engendrant entre 2022 et mi-2025 plus de 180.000 plaintes et 58.000 détentions. Ces chiffres traduisent l’ampleur d’un problème à la fois économique et social, justifiant l’urgence d’une réforme adaptée aux réalités actuelles.

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Le nouveau texte introduit plusieurs innovations. Il consacre notamment la conciliation à tous les stades de la procédure, y compris après condamnation, et permet au parquet d’accorder un délai de 30 jours, renouvelable une fois avec l’accord du bénéficiaire, pour régulariser la situation. L’incarcération pourra être remplacée par un contrôle judiciaire, et les litiges familiaux (entre conjoints, ascendants ou descendants) seront exonérés de poursuites.

L’objectif affiché par le gouvernement est de restaurer la confiance dans le chèque en tant qu’instrument de paiement et de désengorger des tribunaux saturés par des milliers de dossiers de chèques impayés chaque année. «Cette réforme est un pas positif, mais elle ne sera pleinement efficace que si elle est accompagnée d’un encadrement solide et d’une justice civile réellement opérationnelle», analyse un avocat d’affaires de Casablanca, cité par L’Economiste.

Le texte s’inscrit dans la stratégie nationale de modernisation du droit des affaires et de réduction des détentions pour dettes civiles. Il ouvre également la voie à une contribution libératoire permettant aux interdits bancaires de régulariser leur situation, un mécanisme qui pourrait redonner un second souffle à nombre de PME en difficulté. Dans le monde de l’entreprise, l’accueil de la réforme est contrasté. «Beaucoup de PME vivaient dans la crainte d’un incident, même mineur. Désormais, il sera possible de régulariser rapidement sans risquer la prison», se félicite un chef d’entreprise du secteur des services, également cité par le quotidien.

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Les banques y voient également un outil de stabilisation: la régularisation amiable réduit les contentieux et encourage la transparence. Mais certains observateurs restent prudents. «Le chèque perd sa fonction dissuasive, et certains pourraient en abuser», avertit un dirigeant du BTP. Le risque d’un relâchement de la discipline financière n’est pas écarté, d’autant que la dépénalisation pourrait inciter certains opérateurs à se tourner vers le paiement en espèces, au détriment de la traçabilité financière que le Maroc s’efforce de renforcer.

Sur le plan juridique, le succès de la réforme dépendra de la capacité du système judiciaire à absorber ce changement. Dépénaliser n’aura de sens que si les procédures civiles deviennent plus rapides et moins coûteuses, notamment pour les petites entreprises. «Le véritable défi est de rendre le recouvrement rapide et accessible. Sans cela, on risque de déplacer le problème plutôt que de le résoudre», estime un autre praticien du droit, interrogé par L’Economiste.