La canicule au Maroc: un impact sévère sur l’agriculture
La canicule qui a débuté dès la première semaine de l’été n’a presque épargné aucune région du Royaume. «Cette vague de chaleur a été très longue, intense, et répartie de manière homogène sur quasiment tout l’ensemble du territoire national. Même les nuits ont été anormalement chaudes», déclare Mohamed Taher Sraïri. Ce phénomène, selon lui, s’inscrit pleinement dans la logique du changement climatique.
«Ce ne sont plus seulement des épisodes de sécheresse, mais des vagues de chaleur extrêmes prolongées», signale-t-il. «Même en Belgique on a enregistré jusqu’à 40 degrés cet été. C’est un phénomène global, mais le Maroc fait partie des zones les plus vulnérables, un véritable hotspot climatique», affirme-t-il.
Production laitière: une chute brutale et massive
L’impact sur l’élevage bovin a été immédiat. «Dans des fermes techniquement très avancées, des baisses de 30% du rendement laitier par vache ont été enregistrées, après seulement quatre jours de stress thermique», précise le professeur. Ce phénomène affecte directement le comportement des vaches. «Avec des températures dépassant 35°C, elles diminuent fortement l’ingestion alimentaire, ce qui abaisse leur rendement laitier», explique-t-il.
Selon lui, les pertes économiques dues à cet épisode caniculaire peuvent se chiffrer en milliards de dirhams. «C’est un manque à gagner effroyable pour toute l’agriculture: élevage et cultures. Le cas de l’élevage laitier n’est qu’un exemple parmi d’autres», signale-t-il.
Cultures annuelles estivales sous le choc
Les cultures annuelles de l’été, comme les pastèques, les melons et le maraîchage de plein champ, ont été parmi les plus touchées. Les pertes sur les récoltes de pastèques et de melons sont estimées entre 30 et 40% par les spécialistes. «Ce qui était en début ou en cours de production a littéralement grillé. Cinq jours à plus de 40°C, c’est insoutenable pour les plantes, même irriguées», rapporte le professeur. Résultat: une flambée des prix sur les marchés, perceptible par tous les consommateurs.
Une campagne céréalière déjà médiocre
À cette situation s’ajoute une campagne céréalière 2024-2025 jugée médiocre. «Avec une production de 40 millions de quintaux, on est largement en dessous de la moyenne», partage l’expert. Cette mauvaise performance compromet aussi l’approvisionnement en paille, ressource cruciale pour nourrir le cheptel. «La botte de paille de 10 kg atteint aujourd’hui 32 dirhams au départ de la parcelle, un prix insupportable pour les éleveurs qui doivent en acheter», déplore-t-il.
L’arboriculture menacée par la canicule
L’arboriculture, autre pilier stratégique des stratégies agricoles actuelles, est également fragilisée. «En cinq ans, 40.000 hectares du verger agrumicole ont été arrachés, de l’aveu même des professionnels de ce secteur», indique le professeur Sraïri. Et les jeunes plantations sont les plus vulnérables, les arbres de moins d’un an ayant parfois succombé sous l’effet des hautes températures. Quant aux arbres plus âgés, ils ne meurent pas nécessairement, mais nécessitent des doses d’irrigation massives pour survivre, ce qui accentue la pression sur des ressources en eau déjà surexploitées.
L’eau souterraine surexploitée, les barrages au plus bas
Le stress hydrique atteint des niveaux critiques. «Les pluies du printemps ont surtout permis de sécuriser l’eau potable pour les villes, mais pas les volumes nécessaires pour l’irrigation», précise le chercheur. Avec des barrages à sec dans de nombreuses régions, les agriculteurs se rabattent automatiquement sur les nappes phréatiques. «On observe une amplification des prélèvements d’eau souterraine dans tout le pays, même dans les zones les plus favorables», alerte-t-il.
«Il faut arrêter de faire croire que l’irrigation par dessalement va tout sauver. C’est une illusion coûteuse. Il faut dessaler et transporter l’eau sur de longues distances, et cela consomme une énergie considérable, avec à la clé un coût de revient du mètre cube d’eau supérieur à 5 DH, rédhibitoire pour la majorité des systèmes de production classique – céréales, légumineuses, élevage, etc.», souligne le spécialiste.
Des mortalités enregistrées, des emplois menacés
L’élevage avicole n’est pas épargné non plus. Des mortalités conséquentes ont été enregistrées dans les élevages de poulets de chair et de pondeuses. Comme pour le lait, cela a déjà des conséquences directes sur les prix des produits avicoles, des hausses étant constatées par les consommateurs. Mais au-delà des cultures et des chiffres, ce sont des hommes et des femmes qui voient leur avenir compromis. «Le monde rural est très mal en point. Si la situation persiste, les pertes d’emploi dans le secteur agricole vont s’accélérer», avertit le professeur.
«Ce qui est particulièrement inquiétant, c’est que nous ne sommes qu’au début de l’été», rappelle Mohamed Taher Sraïri. Il estime que les semaines à venir pourraient aggraver une situation déjà dramatique. «Il reste à espérer que le pays sera épargné par d’autres épisodes caniculaires, car les dégâts seraient alors incommensurables», conclut-il.