Le secteur du textile-habillement au Maroc montre des signes de ralentissement
Selon les données de l’Office des changes, le textile-habillement marocain montre des signes d’essoufflement. En 2024, les exportations de vêtements confectionnés n’ont progressé que de 0,3%, à 29,61 milliards de dirhams (MMDH), et celles des articles de bonneterie de 2,1 %, à 9,12 MMDH. Au cours des cinq premiers mois de 2025, les expéditions des vêtements confectionnés ont baissé de 2,1% (12,9 MMDH) et celles des articles de bonneterie de 3,1% (3,64 MMDH).
Pour Jean-François Limantour, président du Cercle euro-méditerranéen des dirigeants du textile-habillement (Cedith) et de l’association Evalliance de coopération textile entre l’Union européenne, l’Asie du Sud-Est et la Méditerranée, cette évolution mérite d’être nuancée.
«Sur les cinq premiers mois de 2025, les exportations marocaines vers l’Union européenne ont progressé de 4,5 %. Une performance supérieure à celle de la Turquie (-4,4 %) et de la Tunisie (-1,2 %), mais qui reste en deçà de la moyenne de croissance des fournisseurs de l’UE, établie à +11,4 %», précise-t-il. Résultat: le Maroc continue de perdre des parts de marché. «En 2005, il représentait 4,5% des importations européennes d’habillement. En mai 2025, cette part est tombée à 2,35%».
La montée du low-cost, un défi pour le secteur
La principale menace vient de la transformation du marché européen, de plus en plus dominé par la mode à bas prix. «Le consommateur européen dépense moins pour les vêtements, ce qui profite aux plateformes asiatiques comme Shein ou Temu, qui vendent des robes à 5 euros ou des T-shirts à 1 euro», explique Limantour.
Dans ce contexte, les producteurs marocains, positionnés sur le milieu de gamme, peinent à suivre. «Le Maroc souffre de coûts salariaux relativement élevés et d’un amont textile peu compétitif. Ce positionnement, hérité des années 1990, est devenu un handicap face à la montée du low-cost asiatique».
L’évolution des exportations du textile-habillement entre 2004 et 2024 (Source: Office des changes).
Produits | 2004 | 2010 | 2015 | 2019 | 2023 | 2024 |
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Vêtements confectionnés | 18,67 | 17,81 | 20,20 | 23,30 | 29,53 | 29,61 |
Articles de bonneterie | 7,64 | 6,97 | 7,01 | 7,49 | 8,93 | 9,12 |
Le secteur est pris en étau entre deux extrêmes: d’un côté, une production à bas prix massivement asiatique, de l’autre, un segment haut de gamme européen et de luxe qui échappe largement aux pays méditerranéens, selon notre interlocuteur.
Dépendance au marché européen: une fragilité structurelle
Autre facteur de fragilité: la très forte concentration des exportations marocaines vers l’Espagne et la France. «Cette dépendance s’explique par la proximité géographique et les liens historiques, mais aussi par un manque d’efforts de diversification», analyse l’expert.
Selon lui, d’autres marchés européens offrent un potentiel sous-exploité, notamment l’Italie, la Suisse et l’Autriche. «Ce sont des pays consommateurs d’habillement où le Maroc peut proposer une offre compétitive en moyen de gamme, à condition de s’adapter aux attentes locales».
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À l’inverse, il écarte l’idée d’un développement vers les marchés d’Afrique subsaharienne: «L’Afrique est en croissance sur le plan économique global, mais pas sur le plan de la consommation. Avec 41% de la population vivant sous le seuil de pauvreté, ces marchés ne sont pas porteurs pour des produits de textile-habillement».
Cinq leviers d’action stratégique pour rebondir
Pour sortir de l’impasse, Jean-François Limantour propose cinq leviers d’action stratégique. Le premier est d’investir dans les technologies de l’information et de la communication (NTIC) ainsi que dans celles de l’intelligence artificielle (IA). Le secteur a besoin d’un plan ambitieux pour intégrer ces technologies dans la conception, la gestion de production et la commercialisation, note-t-il.
Le deuxième est d’aller au-delà de la sous-traitance, en migrant vers un modèle combinant industrie et services à forte valeur ajoutée. Le troisième levier est de développer une production durable: «Le Maroc peut se positionner sur des textiles éco-responsables, en ligne avec les nouvelles attentes des consommateurs européens».
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Le quatrième est de miser sur les vêtements techniques: «Le segment des vêtements professionnels et de sport est le seul vraiment porteur aujourd’hui».
Le cinquième levier est de revendiquer une équité commerciale auprès de l’Union européenne: «Bruxelles accorde des avantages douaniers à des pays comme le Bangladesh ou le Cambodge. Le Maroc doit obtenir un traitement équitable pour préserver sa compétitivité», souligne-t-il.
Un secteur à soutenir d’urgence
En dépit de ses difficultés, le secteur textile-habillement reste un pilier de l’économie marocaine: il emploie des centaines de milliers de personnes, contribue à la balance commerciale et soutient l’activité dans plusieurs régions du pays.
«Dans cette phase délicate, il doit faire l’objet d’un soutien fort et stratégique de la part des pouvoirs publics», conclut Limantour. À condition de se transformer rapidement, le Maroc peut encore défendre sa place dans l’échiquier euro-méditerranéen du textile.