Le Maroc adopte une régulation innovante des cryptoactifs
Le Maroc franchit un tournant décisif dans la régulation des cryptoactifs en mettant fin à l’incertitude qui planait depuis plusieurs années. L’avant-projet de loi présenté par le Royaume établit un cadre légal clair et structuré, reposant sur une supervision conjointe entre l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC) et Bank Al-Maghrib, assorti d’un régime d’agrément pour les plateformes et de mécanismes de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme conformes aux standards internationaux du GAFI, indique le magazine Finances News Hebdo.
Ce texte est le fruit d’une collaboration étroite entre le ministère de l’Économie et des Finances, Bank Al-Maghrib, l’AMMC et l’Unité de traitement du renseignement financier (UTRF), avec le soutien technique de la Banque mondiale. Il s’inspire des meilleures pratiques internationales, allant du règlement européen MiCA aux recommandations du GAFI, du Conseil de stabilité financière et du FMI.
Lors de la neuvième Conférence mondiale sur les finances criminelles et les cryptoactifs, coorganisée par Europol et le Basel Institute on Governance sous l’égide de l’ONU à Vienne, Nabil Badr, directeur adjoint de la supervision bancaire à Bank Al-Maghrib, a expliqué comment le Maroc est passé d’une position prudente à une action proactive sur le sujet.
«Depuis 2017, nous observons un intérêt croissant pour les cryptoactifs, avec un usage marqué dans certaines catégories de la population», a-t-il rappelé dans des propos repris par Finances News. Le régulateur devait répondre à deux enjeux majeurs: protéger le système financier contre les risques de blanchiment et de financement du terrorisme et garantir la sécurité des consommateurs en l’absence d’autorité chargée de défendre leurs droits. La solution choisie consiste à encadrer juridiquement un phénomène déjà massif, sans freiner l’innovation. Selon Chainalysis, le Maroc figure parmi les 25 premiers pays au monde en termes d’usage de cryptoactifs et occupe la première place en Afrique du Nord.
Le projet de loi repose sur une architecture réglementaire duale. L’AMMC est chargée de superviser les émissions, les offres au public et la négociation des cryptoactifs, tandis que Bank Al-Maghrib encadre les jetons adossés à des actifs, notamment les stablecoins. Cette répartition vise à éviter les chevauchements et à adapter la supervision à la nature de chaque produit, explique Finances News Hebdo. Un comité de coordination et de surveillance des risques systémiques sera mis en place pour suivre les interconnexions entre le marché crypto et le système financier traditionnel, tandis qu’une association professionnelle des prestataires servira d’interface entre les acteurs et les autorités.
Le texte clarifie également les différentes catégories de cryptoactifs. Les jetons utilitaires permettront d’accéder à un service ou à un produit, tandis que les stablecoins seront strictement réservés aux banques et aux établissements de paiement, sous le contrôle direct de Bank Al-Maghrib. «Nous considérons que les stablecoins sont similaires à des dépôts, c’est pourquoi leur émission doit être confiée à des institutions financières régulées», précise Nabil Badr. Cette approche vise à protéger les moyens de paiement digitaux promus par le Maroc et à soutenir la stratégie nationale d’inclusion financière. Les NFT, la finance décentralisée, le minage et les monnaies numériques de banque centrale sont exclus du champ de la régulation, jugés encore trop expérimentaux, et les cryptoactifs ne seront pas considérés comme des moyens de paiement légaux.
Le cœur du dispositif repose sur l’agrément obligatoire des prestataires de services sur cryptoactifs. Ces acteurs devront disposer d’un siège au Maroc, de fonds propres suffisants, d’un dispositif de contrôle interne et de dirigeants expérimentés. L’AMMC instruira les demandes dans un délai maximal de 120 jours et pourra restreindre ou retirer l’agrément en cas de manquement. Badr Bellaj, cofondateur de Mchain, estime que ce cadre constitue «une étape majeure pour créer un écosystème crypto marocain crédible, basé sur la transparence et la confiance», offrant aux entrepreneurs un environnement légal et prévisible qui favorise l’investissement et l’innovation.
Le volet anti-blanchiment du projet de loi introduit pour la première fois au Maroc la Travel Rule, imposant aux prestataires d’identifier l’expéditeur et le bénéficiaire de chaque transfert de cryptoactifs, de conserver les données pendant dix ans et de déclarer les opérations suspectes. Le texte transpose également un dispositif complet de prévention des abus de marché, couvrant la manipulation de cours, les opérations d’initiés et la diffusion d’informations trompeuses, avec des sanctions allant du retrait d’agrément à des peines pénales pour les cas les plus graves.
Pour Nabil Badr, «la crypto est par nature sans frontières, ce qui représente un défi pour tous les superviseurs. Il est donc crucial d’intégrer les exigences AML dès la conception du cadre». Au-delà des aspects techniques, la loi vise à changer la perception culturelle des cryptoactifs, longtemps considérés comme purement spéculatifs ou risqués, pour en faire un levier de modernisation de l’économie numérique marocaine. Selon Badr Bellaj, «ce projet de loi ouvre un espace régulé où innovation et conformité peuvent coexister», établissant un équilibre entre ouverture et contrôle.
Les cryptoactifs pourront désormais opérer dans un cadre strict, transparent et aligné sur les standards mondiaux. Une période transitoire de 18 mois permettra aux acteurs existants de se mettre en conformité, tandis que les décrets d’application détailleront les seuils de fonds propres, les obligations de reporting et les modalités de coopération entre Bank Al-Maghrib et l’AMMC.














































