Bien que les crises successives aient asséché l’enthousiasme populaire suscité par les manifestations contre le pouvoir il y a trois ans au Liban, les candidats de l’opposition, en grande partie des militants qui ont fait la « révolution », n’ont pas hésité à se présenter aux élections législatives, à la recherche d’un changement politique qu’ils savait déjà serait difficile.
À la mi-mai, les Libanais choisiront 128 députés, lors d’élections que les experts n’attendent pas pour provoquer un changement majeur dans la scène politique générale du pays, embourbé dans une grave crise politique et économique depuis plus de deux ans. .
« Pour moi, se présenter aux élections législatives est une continuation » de l’affrontement contre la classe politique, Verena Al-Amil, qui participe à des manifestations inédites au Liban depuis le 17 octobre 2019, et fait partie des plus jeunes candidats aux élections , a déclaré à l’AFP.
Les élections constituent le premier véritable test pour les groupes d’opposition et les jeunes visages qui ont pris la tête de ce qui est devenu la « Révolution du 17 octobre » et ont exigé la démission de la classe politique, la blâmant pour la détérioration financière et économique et la corruption qui institutions étatiques dévastées.
Les manifestations se sont poursuivies pendant des mois avant de reculer progressivement à la suite de l’épidémie de Covid 19 puis de l’horrible explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020, qui a tué plus de deux cents personnes et provoqué des destructions massives dans les quartiers de la capitale, en plus de l’accélération de l’effondrement économique, que la Banque mondiale a classé parmi les pires au monde depuis l’année 1850.
Le jeune homme de 25 ans a ajouté : « Après la révolution, nous étions frustrés et il y a eu une grande vague d’émigration », mais « à la lumière de tout cela, nous voulons encore essayer. Je cours maintenant pour montrer que nous voulons toujours « renverser la classe dirigeante pendant des décennies ».
Malgré les revers face à un pouvoir enraciné et l’échec des groupes d’opposition et des candidats indépendants à s’aligner sur des listes unifiées dans de nombreuses circonscriptions, le mouvement populaire a produit plus de candidats opposés aux partis traditionnels qu’il ne l’avait fait lors des dernières élections de 2018.
Selon « Tomorrow’s Politics Initiative », un groupe de réflexion basé à Beyrouth, l’opposition et les candidats indépendants constituent 284 des 718 candidats en lice dans la course électorale, contre 124 candidats en 2018.
Celles-ci sont réparties sur 48 listes électorales à travers le pays, y compris dans les régions de la périphérie, où les forces du pouvoir dans certaines circonscriptions font face à un véritable défi pour conserver tous leurs sièges.
Lors des dernières élections, la cliente a exercé son droit de vote pour la première fois. Quatre ans plus tard, elle s’apprête à en découdre avec les forces du pouvoir après sa candidature dans le quartier Nord Matn (nord-est de Beyrouth), après que sa participation aux manifestations et son militantisme civique ont enrichi son parcours naissant.
La jeune avocate parle, alors qu’elle est assise dans un café de Beyrouth, du fait que le plus grand nombre de ses collègues de l’école quittent le pays, et déclare : « Nous allons procéder à la confrontation ».
« Le discours que nos gorges ont prononcé pendant la révolution, nous le compléterons dans les campagnes électorales et au parlement », a-t-elle ajouté.
Pour la deuxième fois après 2018, le militant, écrivain et réalisateur Lucien Beau Rjili se présente aux élections.
« Le point le plus important est que les gens voient les élections comme une manifestation », a-t-il déclaré à l’AFP.
Il poursuit : « Comme nous avons documenté que des manifestants ont été battus, ont eu les yeux bandés et ont été tués sur les routes, nous devons documenter comment les votes sont volés et comment la tricherie se produit. »
Selon Bou Rjeili, les partis au pouvoir tentent de « nous dégrader et d’utiliser l’argent » pour attirer les électeurs dans un pays dont le système politique est basé sur des quotas entre sectes, qui a enraciné des réseaux clientélistes bien ancrés.
Les groupes d’opposition font face à de nombreux défis, tout en réalisant que les outils de confrontation avec les forces du pouvoir sont inégaux en termes de capacité à mobiliser les bases populaires, les médias et les capacités matérielles, et à la lumière d’une loi électorale adaptée aux forces politiques.
Malgré cela, l’opposition n’a pas réussi à entrer dans la course électorale sur des listes communes, ce qui, selon les analystes, limite sa capacité à bouleverser les rapports de force et à apporter un réel changement.
« Il y a des règlements d’opposition concurrents dans la plupart des circonscriptions, et c’est inacceptable », a déclaré à l’AFP Carmen Jeha, professeur d’administration publique à l’Université américaine de Beyrouth.
Elle poursuit : « Nous avions besoin d’espoir, et l’espoir ne peut venir que d’une campagne nationale. »
La participation électorale aux urnes pose un dilemme, beaucoup perdant l’espoir d’apporter des changements, en plus du coût élevé du transport, les électeurs devant se rendre dans les régions d’où ils viennent pour voter.
Une enquête d’opinion menée par Oxfam a montré qu’environ 54% des plus de 4 670 personnes interrogées ont exprimé leur volonté de voter aux élections.
Dans un rapport publié le mois dernier sur le comportement des électeurs, l’organisation basée en Grande-Bretagne a déclaré que « le taux relativement bas… peut être dû à un grand sentiment de déception et de désespoir ».
Plus de la moitié de ceux qui ont dit qu’ils s’abstiendraient de voter estimaient qu’il n’y avait pas de « candidats prometteurs », selon l’organisation. En revanche, près de cinquante pour cent de ceux qui voteront disent qu’ils voteront pour des candidats indépendants.
Peu de temps après avoir annoncé sa candidature, le militant politique Maher Abu Shakra, qui faisait partie des dirigeants du « Haqqi », un groupe d’opposition dont le nom a émergé lors des manifestations anti-gouvernementales, a décidé de s’abstenir de se présenter aux élections.
« Le régime libanais est vieux de plusieurs centaines d’années (…) et l’affronter est très difficile », a-t-il dit à l’AFP, ajoutant : « Il n’est pas affronté de manière absurde et désordonnée ».
AFP
Marrakech, 2022-05-09 19:12:09 (Maroc-Actu) –